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Témoignage : En 2020 avec l'ACS j'ai des meilleures marges

Écrit par  Adélaïde GREHAN
Publié le 17 décembre 2020
7 min. de lecture
Retour sur le centre de ressources

« L’agriculture de conservation des sols (ACS), à ne pas confondre avec les TCS (techniques culturales simplifiées), repose sur trois piliers : un non-travail du sol systématique, une couverture permanente et des rotations longues et diversifiées. Les enjeux sont doubles : respect du sol et de la biodiversité et optimisation des marges de l’exploitation. ». Jean-Christophe Alibert, polyculteur éleveur nous donne son avis sur l'agriculture de conservation et de régénération des sols qu'il pratique depuis 10 ans sur les Causses du Quercy. Il nous explique ainsi pourquoi en 2020 il parvient à obtenir des meilleures marges que ses voisins en conventionnel. 

 

Portrait Jean christophe alibert

 

SOMMAIRE :

 

Pouvez-vous nous en dire plus sur les 3 piliers de l’agriculture de conservation des sols ?

Quand on entend parler d’ACS on entend souvent baisse de rendements, est-ce vraiment la réalité ?

Comment j’ai réduit mes charges sur mon exploitation avec l’agriculture de conservation ?

Quelle est votre position face à l’annonce de l’arrêt du glyphosate ?

Pourquoi selon vous seulement 2% des agriculteurs sont passés en agriculture de conservation ?

Et pour la suite quelles évolutions attendez-vous ?

Pouvez-vous nous en dire plus sur les 3 piliers de l’agriculture de conservation des sols ? 

  • Non travail systématique du sol : « Avec le labour ou autre travail du sol, qui sont des techniques agricoles pourtant ancestrales, on casse la structure du sol qu’on va refaire artificiellement mais ce n’est pas forcément optimal pour la plante. Cela engendre de l’érosion et parfois une pollution de l’eau. De plus le travail du sol détruit l’habitat naturel des microorganismes, faune et microfaune, dont les vers de terre, qui sont les véritables artisans du sol. (Ils sont capables de digérer 100 à 400 tonnes par hectare et par an, dont une partie est rejetée en surface sous forme de petits amoncellements, appelés turricules). Quand le sol fonctionne il y a un système très intéressant, l’idée est donc d’impacter le sol le moins possible car on se dit que le sol ce n’est plus juste un support, c’est quelque chose qui amène aux plantes et qui est gratuit ».
  • La couverture du sol : « Le couvert va permettre de couvrir et de nourrir le sol, plus le couvert est développé, plus il y a de matières vertes et de racines, plus on est content ; plus il est diversifié plus on est content. Si besoin un petit passage de Glyphosate pour détruire les mauvaises herbes et on sème directement dans le couvert»
  • Les rotations de culture : « Il est important de gérer des rotations longues, si possible avec une grande diversité de cultures. Personnellement je cultive différentes cultures : avoine, épeautre, féveroles, pois fourrager, sorgho, vesse, luzerne, prairies... »

Quand on entend parler d’ACS on entend souvent baisse de rendements, est-ce vraiment la réalité ?

 

« Les spécialistes ont pris l’habitude de ne pas répondre car les situations sont très variables. En effet ça dépend des types de sol, des régions, et surtout de l’état de dégradation du sol au moment du changement de technique

Dans ma région, où les rendements maximums ne sont pas très élevés, pas de réelle perte de rendements à prévoir. Mais il est possible sur des régions fortes de grandes cultures, avec des structures de sol catastrophiques, que la période de transition amène à une baisse de rendement. Une baisse de rendement qui va s’étaler sur plusieurs années en fonction de l’état de départ des sols.
Cette baisse de rendement est normale et surtout temporaire, car ce sont des années de transition pour le sol. Aussi le taux de matière organique augmente, la vie du sol revient, la biodiversité se rééquilibre, la mise en place des auxiliaires s’optimise… Les pionniers après la période de transition ont même réussi à dépasser les rendements qu’ils obtenaient en agriculture conventionnelle.


Dans une année aux conditions climatiques favorables, avec un sol vivant, on peut faire pousser de façon optimale la plante. Ainsi, pour un des premiers blés que j’ai semé en semi direct dans une parcelle qui était depuis 3 à 4 ans en luzerne, j’ai fait 70 qx de rendement. En agriculture conventionnelle pour un tel rendement j’aurais dû apporter environ 200 unités d’azote. Dans ce cas, j’ai profité des apports de la luzerne d’avant, une légumineuse, qui apporte de l’azote au sol, le préserve, le restructure et permet à la vie microbienne de revenir, c’est ce qu’on essaye de reproduire en ACS ! Et de toute façon il ne faut  pas regarder que les rendements, il faut parler de marges et penser optimisation des intrants, pour améliorer ses marges !

Par exemple cette année, année climatique compliquée, je fais des rendements similaires à mes voisins en conventionnel. La différence : je n’ai réalisé qu’un passage de glyphosate avant semi et 1 apport phyto alors que mes voisins en conventionnel ont des charges d’intrants et de mécanisation bien plus importantes. Finalement j’obtiens de meilleures marges.

Pour en savoir plus sur les indicateurs économique à suivre sur son exploitation, découvrez l'article dédié ici.

 

Comment avez-vous réduit vos charges sur votre exploitation grâce à l’agriculture de conservation des sols?

 

« En agriculture conventionnelle en général on déchaume pour faire un faux semi (parfois suivi d’un glyphosate, qui pour le coup est totalement inutile car il précède un autre travail du sol), suivi d’un labour. Avant semi, il y a 1 ou 2 passages de herse plate, puis, s’il y a des cailloux, 1 passage d’andaineuse et un cassage, et/ou le semis puis un roulage. Des gros coûts de mécanisation à prévoir donc, car ce sont des postes très consommateurs de matériels divers, de puissance, donc de carburant et de temps de travail.

En semi direct, le seul gros investissement est le semoir qui ne demande qu’une faible puissance de traction et donc une consommation en carburant de moins de 10 litres/ha avec un temps de travail fortement réduit par rapport à un itinéraire conventionnel.
Sur mon exploitation, dans le système d’agriculture de conservation, je récolte, je sème du couvert que je détruis mécaniquement au semi, je fais un passage de glyphosate si besoin de désherber puis je sème. Niveau mécanisation j’ai une baisse considérable de mes charges, niveau gazole aussi. De plus j’économise aussi du temps passé aux champs dans mon tracteur. »

 

Quelle est votre position face à l’annonce de l’arrêt du glyphosate ?

 

« L’objectif de l’ACS aujourd’hui, c’est de maintenir des niveaux de productivité les plus hauts possible mais avec beaucoup moins d’intrants. Ceux qui pratiquent l’agriculture de conservation depuis longtemps n’utilisent presque pas d’insecticides et de fongicides. Mais reste le désherbage, souvent fait par le travail du sol (en conventionnel), qui est une étape clé aujourd’hui réalisée grâce au Roundup, mais demain ? Quand les conditions climatiques seront clémentes, il sera peut-être possible de s’en passer certaines années, mais pour d’autres ça sera plus difficile. Beaucoup plus coûteux, et certainement beaucoup plus nocif par la multiplication des produits qu’il faudra utiliser.


Nous utilisons le glyphosate à des doses très réduites, parce que nous travaillons sur les conditions d’application, le bas volume, le traitement de l’acidité de l’eau, le taux d’hygrométrie de l’air… Aujourd’hui en agriculture de conservation, les doses d’application du glyphosate sont presque 40 fois inférieures aux doses utilisées dans d’autres pays sur OGM par exemple, et ne sont jamais utilisées sur les cultures. Et en terme d’IFT, quand je les calcule seulement avec le glyphosate avant semi, je suis à 0,20, alors qu’un anti-graminée post semi sur blé a un IFT de 1 (IFT total moyen en France en 2017 = 3.9, source : agreste – enquêtes sur les pratiques culturales 2011, 2014, 2017).


Aujourd’hui, on enlève un outil aux agriculteurs impliqués dans ce système, il y a des pistes d’alternatives, mais rien d’aussi efficace. Des essais sont menés sur un extrait d’huile de colza, un défoliant, mais aussi sur des mélanges synergiques d’huiles essentielles.
La recherche d’une alternative efficace au Roundup ou à l’utilisation de produits de synthèse pour le désherbage est vraiment l’objectif des prochaines années pour l’agriculture de conservation. »

 

Pourquoi selon vous seulement 2% des agriculteurs sont passés en agriculture de conservation ?

 

« Il y a plusieurs raisons, tout d’abord le labour est ancestral et encore trop mis en avant par les institutions agricoles. C’est même une sorte de folklore pour l’agriculture en France, il est donc difficile pour les agriculteurs de s’en affranchir. Ensuite il paraît risqué de changer sa façon de travailler, avec la pression des autres agriculteurs et des agro filières d’amont ou d’aval qui n’ont pas forcément envie que les choses changent ou n’en tireraient pas de bénéfices.

Enfin, le volet économique est aussi un gros frein, c’est la peur de perdre des rendements, de la productivité (au moins au début), donc perdre de l’argent. La productivité est encore prônée comme étant la première condition de rentabilité d’une exploitation. Dans un moment où la rentabilité des exploitations est mauvaise, le risque pour certains semble trop gros voire impossible à prendre. »

 

Et pour la suite quelles évolutions attendez-vous ?

 

« J’espère être prochainement labellisé par le label « au cœur des sols » de l’APAD (Association Pour une Agriculture Durable) et que ce label se développe et soit reconnu. Il serait bien aussi que le consommateur connaisse et reconnaisse cette nouvelle technique culturale. Mais il y a aussi besoin de changements dans les modèles des semenciers, les coopératives, instituts de recherche, institutions agricoles, reconnaissance politiques, intégration dans la nouvelle PAC… pour pouvoir aller plus loin.

 

Il y aussi beaucoup de choses au niveau des techniques culturales non autorisées aujourd’hui et qui pourraient faire évoluer les choses. Date d’implantation des couverts, type de couverts ou fertilisation. Par exemple, apporter la fertilisation au couvert directement et non à la culture suivante, afin que le couvert nourrisse le sol qui restituera ensuite à la plante (par l’intermédiaire de la vie du sol) en fonction de ses besoins, ceci serait une belle nouveauté qui permettrait une consommation naturellement régulée, plus efficace pour la plante.

Un beau retour d’expérience qui donne des nouvelles perspectives pour l’agriculture de demain, que ce soit sur le volet réduction des charges, environnement, biodiversité et qualité de vie des agriculteurs. D’autres témoignages et d’autres techniques culturales innovantes dans notre guide « 6 astuces pour faire face à une année climatique compliquée ».

 

Télécharger le guide des 6 clés pour réussir une année climatique compliquée