Irrigation des vignes : techniques, conseils et règlementations
Sommaire
Vous avez un projet d’installation de système d’irrigation en viticulture ? Vous cherchez à mieux piloter votre gestion de l’eau dans vos parcelles de vignes ? Découvrez dans ce dossier tout ce qu’il faut savoir sur le sujet : enjeux climatiques, réglementations, techniques existantes, besoins de la culture, conseils de pilotage pour une meilleure utilisation des ressources…
Sommaire :
L'importance de l'irrigation pour la viticulture
Règlementation et législation de l'irrigation des vignes en Europe
Les différents systèmes d'irrigation pour la vigne
Coûts d'installation d'un système d'irrigation et dimensionnement
Cas particuliers et conseils pour l'irrigation des jeunes vignes
L'importance de l'irrigation pour la viticulture
Au même titre que l’olivier et l’amandier, la vigne fait preuve d’une grande résilience face à la sécheresse. Depuis des siècles, elle s’épanouit dans toutes les régions méditerranéennes relativement sèches et sans qu’il y ait besoin de l’arroser. La multiplication des épisodes climatiques extrêmes tend toutefois à modifier la donne dans certains vignobles, et des solutions doivent être envisagées.
Changement climatique et réduction des rendements
Il suffit d’observer les courbes de production des vins et des rendements en France pour constater une décroissance continue depuis les années 2000. Ces courbes varient évidemment selon les appellations. En 2000, le rendement moyen se situait autour de 60/65 hL/ha : il oscille autour de 50 hl/ha depuis 2016.
La faiblesse et l’irrégularité des pluies sont l’un des facteurs majeurs de cette baisse. Les épisodes de gel printanier, couplés aux hivers trop doux, ont également un impact important sur la récolte.
L'impact du stress hydrique sur les vignes
L’irrigation des vignes fait aujourd’hui débat, car elle peut modifier l’équilibre entre le « bon stress » et la fragilisation des ceps. Le bon stress est un stimulateur physiologique de la plante (captation des nutriments, concentration, synthèse des polyphénols…), important pour créer un vin de qualité. Une vigne trop « assistée » peut conduire à un enracinement peu profond ou à des vins dilués…
Toutefois, un stress hydrique sévère peut entraîner une redirection des ressources vers le pied plutôt que vers les raisins, ce qui n’est pas souhaitable. Les jeunes plants sont particulièrement vulnérables. Plus en détails, les réponses de la plante face à un stress hydrique sont les suivantes :
• Réorientation des ressources vers les racines pour survivre
• Défoliation et limitation de la croissance des rameaux primaires et secondaires
• Réduction de la taille des baies par concentration
• Blocage de la maturation
• Retardement du remplissage en sucre des baies
• Réduction du taux d’acide tartrique dans les raisins entraînant un pH supérieur
• Déséquilibre de la concentration en polyphénols et en anthocyanes
• Manque d’harmonie et d’équilibre, notes végétales et empyreumatiques lourdes
Découvrez-en davantage sur l’impact d’un stress hydrique prolongé.
Règlementation et législation de l'irrigation des vignes en Europe
Au niveau européen, l’utilisation de l’irrigation connaît de grandes disparités selon les vignobles et les réglementations. L’UE laisse d’ailleurs toute liberté aux États-membres dans leurs stratégies. Sur le terrain, on observe à la fois le renforcement des politiques d’irrigation et un retour en arrière, du fait de la disparition de la ressource.
Ce que dit la loi française
L’irrigation de la vigne, apte à la production de raisins de cuve, était jusqu’en 2023 encadrée par les décrets n° 2006-1527 du 4 décembre 2006 et n° 2017-1327 du 8 septembre 2017. La réglementation autorisait l’arrosage entre le 1er mai et le 15 août (véraison) au sein des AOP dont le cahier des charges intégrait une possibilité de dérogation sur demande auprès de l’INAO (88 sur 309).
Le décret de 2017 précisait également que :
« L’autorisation d’irrigation peut être délivrée […] pour compenser un stress hydrique de nature à mettre en péril la qualité du raisin ou la pérennité de la plante. Le rendement ne peut dépasser celui fixé pour l’appellation d’origine contrôlée concernée pour la récolte déterminée. »
Une annonce ministérielle, relayée par Vitisphère en décembre 2022, a toutefois apporté un profond changement. Cette limite au 15 août ne sera plus d’actualité à partir de 2023. Les seuils pour l’arrosage restent toujours fixés au sein de chaque AOP ou IGP. L’Hexagone irriguerait environ 4 % de son vignoble, Languedoc-Roussillon en tête : 1/5 des vignes plantées y sont irriguées.
Comparaison avec d'autres pays européens producteurs
Du côté de l’Italie, un décret législatif est entré en vigueur le 19 avril 2013, après un millésime 2012 extrêmement sec (équivalent de 2003 pour la France). Celui-ci a autorisé l’irrigation des vignes dans les DOC, DOCG et IGT, selon certains seuils de sécheresse et de chaleur et en fonction des interdits locaux. 30 DOC autorisent déjà l’irrigation. 26 % du vignoble de cuve disposerait déjà d’équipements d’arrosage. Ces proportions sont encore plus élevées dans le Trentin (85 %), le Frioul (72 %) ou encore la Vénétie (50 %).
En Espagne, la situation est plus drastique, du fait de la transformation du territoire en zone semi-désertique. L’irrigation y est systématiquement autorisée depuis 1996, et presque 30 % du territoire est équipé, dont 86 % en dispositifs goutte-à-goutte. Toutefois, la raréfaction de la ressource en eau et l’augmentation des coûts de pompage poussent les viticulteurs à revoir leur stratégie : culture sèche, abandon des plaines pour les coteaux, retour aux variétés autochtones résistantes…
En Allemagne et en Autriche, les réglementations sont locales et spécifiques à chaque région viticole.
Les différents systèmes d'irrigation pour la vigne
On distingue 3 grands modes d’irrigation en vigne : les dispositifs goutte-à-goutte, les modèles par aspersion et la submersion / arrosage à la raie (non pertinent en France).
Les systèmes goutte-à-goutte
Développés à partir des années 1990, les dispositifs d’irrigation localisée ont fait leurs preuves dans le vignoble. Leur développement croissant s’explique par leur efficacité :
• aptitude à économiser l’eau (-20 % par rapport à l’aspersion)
• uniformisation de l’apport au niveau de chaque pied
• exactitude de la gestion de la ressource
• absence de dérive liée au vent
Ces appareillages se composent d’un compteur, d’un filtre, de séries de canalisations, de goutteurs et de sondes capacitives. Si la pose le long des rangs représente un budget à l’hectare important, elle n’empêche pas l’accès au vignoble. Cette pratique réduit également les risques de maladies ou de brûlures au niveau de la végétation. C’est à ce jour le matériel le plus performant en viticulture. Il est aussi le plus adapté sous nos latitudes où les besoins sont relativement faibles en saison, en comparaison avec d’autres pays.
Notez que, contrairement aux grandes cultures, l’usage de gaines enterrées sous les rangs est interdit pour les vins de cuve en France.
Les systèmes d'irrigation par aspersion
En vigne, les dispositifs d’irrigation par aspersion sont regroupés en 2 catégories. L’aspersion proche du sol est une alternative à la micro-aspersion qui présente de bons résultats. Le système demande cependant beaucoup d’entretien et peut facilement être abîmé par le tracteur.
L’aspersion au canon enrouleur / sur frondaison est une technique peu adaptée aux vignes. En dehors de son faible coût d’investissement, cette méthode augmente l’évaporation, accroît les risques phytosanitaires et est sensible à la dérive. Enfin, il faut maintenir une pression élevée du débit à l’entrée de la parcelle.
Si vous utilisez déjà un canon asperseur, voici quelques conseils pour optimiser l’usage de votre équipement.
Vous souhaitez en savoir davantage sur les différents dispositifs d’irrigation et leurs avantages ? Découvrez notre comparatif des techniques existantes.
Coûts d'installation d'un système d'irrigation et dimensionnement
Avant toute création d’un réseau d’arrosage, il convient de définir l’objectif produit visé et de faire quelques estimations :
• besoins en eau
• coûts du matériel et d’énergie
• retour sur investissement
• réalité de l’accès à la ressource
Car il existe d’autres possibilités : utiliser des biostimulants, accepter de créer des vins différents, envisager la plantation de cépages plus résistants…
Choix et coût du matériel adapté
Pour procéder à la mise en place du système, vous ferez certainement appel à un prestataire spécialisé. Il faudra compter :
• 30 à 40 heures d’installation (terrassement, pose, raccordement) : environ 1 000 € / hectare
• les coûts des pièces (filtres, canalisations, goutteurs, vannes, régulateurs, colliers, compteur, débitmètre, sondes…) : 1 000 à 1 500 € / hectare
• les frais d’acheminement de l’eau de la borne ou du forage jusqu’à la parcelle : entre 5 000 et 15 000 € / hectare en fonction de l’éloignement de la source
• un surcoût de 25 % si vous optez pour un réseau enterré
• un surcoût variable pour un aménagement en coteau (pompe de relevage, goutteurs autorégulant).
Pour un système d’automatisation en complément, les prix atteignent rapidement plusieurs dizaines de milliers d’euros. Rajoutez un surcoût si vous optez pour un forage.
Coût des besoins en eau et d'arrosage
On estime à 15 ans minimum, la durée de vie d’un système d’arrosage goutte-à-goutte. Comptez environ 78 € / an / hectare pour son entretien annuel, essentiel pour une remise en route optimale à chaque saison. Les coûts d’arrosage (temps de pilotage et de déclenchement) évoluent autour de 130 à 160 € / an / hectare. Enfin, il faut prévoir le coût variable de l’eau selon son mode de prélèvement : entre 300 et 1 000 € m³ / an / hectare.
Au total, l’investissement (pose, entretien, eau, charges…) peut se chiffrer autour de 720 à 765 € / an / hectare, pour un amortissement sur 10 ans.
Évaluation des besoins en eau
Selon Vignevin Occitanie, il existe un effet de seuil. Il serait inutile de dépasser un apport de 100 mm / an / ha. Un dosage plus important n’apporte aucun gain supplémentaire de production. L’article précise aussi des recommandations concernant le rythme d’irrigation, à savoir 1 à 2 mm par jour. Sans système d’automatisation, l’idéal sera de ne pas espacer les arrosages de plus d’une semaine entre deux tours d’eau.
Ces besoins sont évidemment à moduler selon la variété plantée, le type de sol et sa capacité de rétention, l’eau disponible pour la vigne, le climat… Vous aurez besoin de réaliser un bilan hydrique de votre parcelle pour suivre les tendances de l’évolution de la réserve en eau.
Il est possible de croiser les résultats avec ceux de sondes tensiométriques (mesure de la force d’extraction de l’eau par la vigne) ou de sondes capacitives (mesure directe de l’humidité du sol). L’observation directe sur le terrain via la méthode des apex de la vigne (stade poussant, ralenti ou sec/tombé) vous donnera également une idée du niveau de stress hydrique de la vigne.
Ensuite, l’outil de pilotage de l’irrigation en ligne de l’IFV vous aidera à évaluer avec précision vos besoins.
Cas particuliers et conseils pour l'irrigation des jeunes vignes
La plantation d'une nouvelle parcelle fait partie des exceptions en matière d'irrigation, car les plants sont particulièrement sensibles au manque d'eau.
Première année de plantation
Il est autorisé d’arroser les plants durant les 3 premières années suite à la plantation. Le faible système racinaire, encore peu développé, rend le jeune pied sensible au manque d’eau et à l’hydromorphie (excès d’eau). Trop de vignerons attendent l’apparition de symptômes pour irriguer : il est alors déjà trop tard.
Il faut viser un apport de 4 à 5 litres d’eau par plant au moment de la plantation. L’opération est à renouveler 2 fois dans l’été, en fonction de l’état du sol et des conditions climatiques. Il faut veiller à n’arroser que les pieds et non les feuilles. En période de fortes chaleurs, l’irrigation doit se faire tôt le matin ou tard le soir, en évitant un arrosage en plein soleil.
Adaptation aux conditions locales
Une plantation sur sol filtrant exigera davantage d’apports hydriques. À l’inverse, dans le cas d’un sol asphyxiant, il y a des risques de voir le porte-greffe pourrir en cas de sur-irrigation. Des travaux de drainage du sol sont recommandés avant de planter vos pieds.
Meilleures pratiques d'arrosage et alternatives
Pour pallier l’important coût d’un réseau d’irrigation, préserver l’eau et garantir un partage équitable de la ressource, il est essentiel d’optimiser son utilisation. L’entretien du réseau et le recours à un arrosage raisonné sont la priorité.
Le projet expérimental IrriAlt’eau 2.0, mené dans l’Aude, vise à étudier l’impact de l’utilisation d’eau usée. La finalité est d’éviter de pomper de l’eau potable en vue d’arroser une culture non nourricière dans des zones très impactées par la sécheresse.
Notez aussi l’existence du projet LACCAVE qui rassemble 10 années de recherches menées par de multiples acteurs (INRAE, CNRS, universités, INAO, FranceAgrimer, IFV, interprofessions…). Ce projet visait à étudier l’adaptation de la vigne et du vin au changement climatique. De nombreux leviers alternatifs ont été proposés :
• Adaptation du choix variétal pour des cépages résistants
• Limitation du ruissellement
• Enherbement pour capter l’eau
• Limitation du nombre d’yeux à la taille (taille gobelet) pour réduire l’évapotranspiration
• Réduction de la densité des ceps
Recourir aux OAD pour optimiser votre irrigation
En cas de réseau déjà présent, ou dans le cadre de votre projet d’installation, il est désormais indispensable de s’appuyer sur des outils de précision afin de piloter l’irrigation au plus juste. Les stations météo connectées telles que Météus ou encore les sondes capacitives associées apportent des données essentielles pour faciliter votre prise de décision.
Pour aller plus loin dans votre projet ou votre gestion de l’irrigation :
• 5 bonnes raisons de s’équiper d’une sonde d’irrigation
• Comment bien choisir sa sonde d'irrigation ?
• Pompes à eau solaires agricoles : un équipement d’avenir ?