“Nous travaillons 7 jours sur 7, sans compter nos heures, sans jour de repos, sans week-end, sans vacances, sans jour férié.” Nul doute qu’un grand nombre d’exploitants agricoles valide ce constat d’un métier si prenant qu’ils ont une fâcheuse tendance à négliger leur santé. Or, comme le rappelle Olivier Torrès, président de l’Observatoire Amarok sur la santé des dirigeants, c’est regrettable car, dans le monde agricole comme dans les autres secteurs de l’économie, la santé du dirigeant représente “le premier capital immatériel des petites entreprises”. En effet, lorsqu’un exploitant agricole tombe gravement malade, le plus souvent son exploitation se retrouve elle-même menacée dans son existence. Raison de plus pour connaître les principaux risques pour la santé liés à la fonction de dirigeant d’exploitation agricole.
SOMMAIRE
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1. Prévenir résolument les accidents du travail
Dans l’imaginaire collectif, un patron est nécessairement moins exposé aux risques professionnels que ses éventuels salariés.
Dans le monde agricole, ce préjugé ne tient pas. D’abord parce qu’un nombre important de patrons n’a pas de salarié : ils gèrent leur exploitation seuls ou en famille. Ensuite, parce que les statistiques révèlent que les exploitants agricoles sont, en réalité, plus souvent victimes d’accidents du travail que leurs salariés. Ainsi, le nombre d’accidents graves non-mortels représente plus d’un accident sur cinq (21,1 %) chez les exploitants contre 10,8 chez les salariés. Si bien qu’en 2019, la durée moyenne des arrêts de travail était de 68,7 jours pour les salariés du régime agricole alors qu’elle atteignait 98,7 jours pour les exploitants.
On observe ainsi que les chutes de hauteur sont beaucoup plus nombreuses chez les exploitants.
Pour Laurent Estève, adjoint au responsable du Département Prévention des Risques Professionnels de la caisse centrale de la MSA, cette disparité s’explique par la polyvalence des tâches accomplies par les dirigeants et par leur propension à se charger des travaux les plus délicats :
“Le risque de chute est plus important chez les exploitants parce que les travaux en hauteur sont des tâches qui, pensent-ils, leur incombent. Travaillant seuls le plus souvent, ou avec un minimum de salariés destinés aux tâches purement agricoles, ils estiment être les seuls à pouvoir prendre le risque de monter sur un toit pour y faire des travaux d’aménagement ou de réparation”, explique-t-il (1).
Alors que les salariés sont généralement affectés à des missions spécifiques, le dirigeant d’une petite exploitation enchaîne les tâches les plus variées à un rythme très, voire trop soutenu. Ainsi, il s’avère que les exploitants utilisent un plus grand nombre de machines agricoles que leurs salariés. Or, pour l’ensemble du régime agricole, les accidents avec machines, au niveau de gravité souvent élevé, représentent environ 1 accident sur 6.
Directeur de Point Org Sécurité, une société spécialisée dans la prévention des risques professionnels et assistant de nombreux agriculteurs dans la réalisation de leur document unique d’évaluation des risques (DUER), Emmanuel Pochet observe toutefois que “les exploitants agricoles sont de plus en plus attentifs aux questions de sécurité, notamment parmi les jeunes générations, qui y ont été davantage sensibilisées, dans le cadre de leur étude. Dans les métiers agricoles, comme dans les autres, professionnalisation rime avec prévention et plus personne ne considère les accidents du travail comme une fatalité.”
2. Agir contre les TMS, première maladie professionnelle
Qu’ils soient issus d’un mouvement spontané et brutal ou liés aux répétitions de manipulations manuelles, de port de charge ou de contraintes gestuelles et posturales, les TMS surclassent toutes les autres maladies professionnelles. Preuve que les exploitants agricoles ne s’épargnent pas, près de 85 % des maladies concernant les chefs d’exploitation sont liées à des TMS, dont une majorité d’affections périarticulaires.
Comme le précise le ministère de l’Agriculture, “si les TMS touchent tous les secteurs d’activité sans distinction et concernent toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. […] certains secteurs d’activités sont plus touchés que d’autres”. Or c’est bien le cas du secteur agricole. En effet, “les exploitations viticoles, les exploitations de cultures spécialisées et les coopératives de traitement de la viande des gros animaux sont les trois secteurs les plus touchés aussi bien en nombre de TMS avec ou sans arrêt de travail, que pour le nombre de TMS graves”. Cette forte exposition aux TMS s’explique aisément :
"Un grand nombre d’activités incontournables et banales dans le fonctionnement d’une exploitation agricole peuvent générer des TMS. Les conditions du travail sont le facteur principal à l’origine des TMS : travail en force, gestes répétitifs à cadence élevée, positions pénibles, postures prolongées, maniement de charges lourdes, vibrations, froid…”
Il existe cependant des moyens efficaces de prévenir l’apparition de TMS. “Les solutions sont à la fois matérielles et organisationnelles”, explique Emmanuel Pochet. “Le recours à des aides mécaniques pour certaines tâches comme, par exemple, le transport de charges lourdes ou l’alternance des tâches permet de limiter les risques.” Toutefois, comme le souligne le ministère, “les contraintes physiques ne sont pas seules en cause, les aspects sociaux et humains interviennent également, et notamment le stress, la monotonie du travail ou le manque de reconnaissance.”
Infographie sur la santé du chef d'exploitation agricole
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3. Prendre garde au manque chronique de repos
“Malgré sa mécanisation croissante, le métier d’agriculteur reste un métier physiquement éprouvant et extrêmement prenant. Le rythme de travail reste dicté par celui de la nature : les bêtes, comme les plantations, doivent être nourries, surveillées et soignées au quotidien et la plupart des tâches ne peuvent pas être reportées”, souligne un récent dossier de la revue Prevenscope.
Selon une enquête réalisée auprès des agriculteurs de Saône-et-Loire par l’Observatoire Amarok, spécialisé dans la santé des dirigeants d’entreprise, 24 % d’entre eux n’ont pris aucun jour de repos lors du dernier mois, 27 % n’ont pris qu’une demi-journée ou une journée, 67 % travaillent plus de 50 heures par semaine, et 15 % plus de 70 heures.
Cet engagement total et ininterrompu contribue évidemment à la multiplication des cas d’épuisement physique et mental. Contrairement à une idée reçue, la charge de travail des agriculteurs aurait plutôt eu tendance à croître au cours des dernières décennies. En effet, comme la mécanisation a permis un exercice plus solitaire du métier, nombres d’agriculteurs s’occupent seuls ou presque de leur exploitation, ce qui les empêche peu ou prou de se faire remplacer, pour souffler et même pour se soigner.
Le métier d’agriculteur est par nature très prenant et le restera. Toutefois, on n’insistera jamais assez sur la nécessité de s’offrir régulièrement quelques heures ou quelques jours de répit, de saisir les occasions de se faire remplacer ponctuellement, pour souffler et sortir la tête du guidon.
“Ces heures ne sont pas perdues mais bénéfiques au bon fonctionnement de l’exploitation dans la durée. Des organisations professionnelles du secteur ou encore la MSA ont d’ailleurs élaboré des solutions dans ce sens. Nous incitons les agriculteurs que nous assistons dans la réalisation de leur DUER à les utiliser davantage”, explique Emmanuel Pochet.
4. Faire face à l’emprise des normes et à la paperasserie
Le métier d’agriculteur est devenu beaucoup plus technique et normé juridiquement qu’il ne l’était autrefois. Les agriculteurs doivent veiller à respecter scrupuleusement des normes de plus en plus drastiques et nombreuses qu’ils n’ont le plus souvent pas choisies et qui contribuent parfois à affaiblir leur compétitivité.
“La prolifération de normes franco-françaises est source d’handicaps économiques pour les exploitants ; elle est également source d’une insécurité juridique majeure et d’une inquiétude sourde de la part du monde agricole. Trop souvent, des décisions sont prises par les parlementaires, les ministères, les préfectures, sans prendre en compte leurs effets pour les agriculteurs. Renouveler une norme pour des bâtiments d’élevage peut apparaître comme une simple modification sur un papier pour certains, elle peut se facturer à hauteur de plusieurs milliers d’euros pour les exploitants”,
Face à cette évolution touchant en réalité un grand nombre de métiers, la bonne attitude consiste à recourir à l’assistance des organisations professionnelles qui peuvent mettre à disposition des exploitants des experts dédiés capables de les épauler dans les initiatives visant au respect de normes souvent complexes.
(1) Prevenscope n° 437, avril-mai 2021 : AGRICULTURE : les nouveaux défis de prévention d’une profession en mutation.
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